Mon France-Allemagne 1982
32 ans, il y a longtemps. Début juillet, le 4 ou le 5 peut
être. Une soirée de début de grandes vacances, dans le salon familial, avec mon
père, mon frère, entre garçons. Ma mère ne supporte pas cette hystérie pour ce
football qui nous fait hurler comme des bêtes sauvages et qui nous passionne
totalement, jusqu’à nous faire collectionner ces images Panini. Moi surtout qui vais
même jusqu’à découper tous les articles de la Nouvelle République ayant trait à
l’équipe de France et à les coller religieusement dans un grand cahier, cahier
bien mieux tenu que n’importe lequel de mes cahiers de classe. Elle nous
préférerait plus sensible à la littérature, au théâtre, aux beaux films, moi et mon frère, mais nous, c’est la coupe du monde qui nous fait vibrer, les verts de Saint Etienne, les
avalanches de buts, les coups francs de Platini, les crochets de Rocheteau, la
classe de Jonhy Rep, les têtes de Mario Kempes, les unes deux des frères Van de Kerkof. La beauté du foot n’a aucun égale, il est
inutile d’en discuter. Les filles n’existent pas encore vraiment, ça sert à
rien, ça ne sait pas vraiment s’amuser... Ça commence quand même un peu à nous
titiller avec les copains du collège, on aime bien les faire rigoler en classe
de sixième, je ne suis pas le dernier à faire les conneries avec la peinture en cours d’arts plastiques pour faire
hurler la prof. Non, la poésie pour moi
alors est bien sur cette pelouse verte aussi moelleuse, je l’imagine, qu’une
épaisse moquette de salle de bain. Bref, il est hors de question que ma mère
passe sa soirée devant cette télévision.
Le match s’annonce terrible, David contre Goliath avec comme
petit Poucet ces braves bleus inexpérimentés face aux Allemands que ma
grand-mère et mes grands oncles et tantes à l'époque appellent encore « les
boches » quand ils racontent à table, lors des repas de famille, les vielles histoires. Ces "boches" à
qui on ne peut pas faire confiance, qui ont toujours empoisonnés, humiliés les
français. Ces allemands qui ont envahis la France. Ces allemands habitués des
coupes du monde, qui ont battus les verts en finale quelques années plus tôt et
qui éliminent régulièrement les clubs français en coupe d’Europe. Aucune chance
de gagner ce soir donc. Mais on ne sait jamais… Au moins ne pas se prendre une
déculottée.... Et puis il y a Platini, et Trésor, et Janvion, et Rocheteau, et ce "carré magique" au milieu qui défraie la chronique de cette Coupe du Monde !
On ne sait jamais. Jamais du haut de mes 12 ans je ne pensais que nous pouvions
nous retrouver un jour en demi finale
d’une Coupe du Monde, il n y avait pas de trace de cela dans mon album Panini... Vaguement une fois en 1958 avec
des joueurs qui ne me disaient rien et auxquels faisait parfois référence mon père. Des photos cramoisies laissaient supposer que c’était un jeu préhistorique
entre vieux avec des shorts ridicules et des ballons de baudruche... Mon père
avec ses 43 ans et ses joueurs là, les Kopa, Fontaine, Vignale etc... faisait figure d’ancêtre à mes yeux.
Les allemands mènent
rapidement en première mi-temps, 1-0. On joue pas mal mais bon c’est presque
certain que l’on va perdre face à ces Ouest-Allemands, la RFA. Mi-temps. Le match est
d’un haut niveau. Des occasions des deux côtés, Rocheteau, Tigana, Giresse, Janvion,
Bossis, Genghini sont totalement dans le match. Dire que le monde entier nous regarde en ce
moment! Tout le monde doit se dire « Putain ils sont pas mal quand même
ces petits français ! Quel beau jeu ! Quel talent ! C’est
dommage, ils vont perdre». Donc je suis aussi un peu de cette trempe là, moi. Magie de l’identification : je suis
talentueux, si je veux je peux impressionner le monde entier. Le monde nous
regarde. Platini est dans ses œuvres comme dit le commentateur Thierry Roland.
Et cet arbitre qui nous refuse un but de Rocheteau ! Et cette équipe de
France qui fait jeu égale avec Paul Breitner et Horst Hrubesh. Platini
toujours, Platini encore ! Ils sont là les bleus ! C’est peut être
jouable ! Rocheteau retenu dans la surface de réparation: c’est un penalty
pour Platini! Platini est mon héros, je croise les doigts. Il prend le ballon. L’embrasse et, du plat du pied, envoi le ballon dans le but prenant Schumacher à
contre pied! Imparable ! On commence à y croire ! Je ne tiens plus en
place, tantôt allongé sur le tapis du salon, tantôt accoudé au canapé, souvent debout! Mi-temps.
Allez les bleus ! Allez les bleus !! Et puis tout à coup le goal allemand Harald Schumacher commet une faute incroyable, terrifiante, criminel, horrible: il agresse totalement Patrick Battiston sur une de ses sorties dans un face à face meurtrier. Le boche est de nouveau là, ressurgit du passé. La barbarie telle qu'on nous la racontée à lécole ou à table. Battiston, le brave gars, est totalement KO,. Sa main pendante, inanimée. Il est évacué d’urgence sur un brancard. Le ralenti nous montre un choc d’une violence incroyable. Ce pauvre Battiston vient d’être victime d’un geste que je n’avais jamais vu sur un terrain. Une triple injustice : le ballon a frôlé la cage; Harald Schumacher n’ a pas été expulsé; l’arbitre, totalement nul, M.Corver, n’a pas non plus sifflé de penalty! Scandale, injustice, violence. Le match à changé de dimension. Je suis terrifié par cette agression, cette sortie du goal. Il est fou! Ce regard de dingue! Ce n'est pas possible, pas humain, le foot est un jeu! Ils sont terribles ces allemands ! Ce sont donc encore et toujours des "boches"? Allez les bleus !
Allez les bleus ! Allez les bleus !! Et puis tout à coup le goal allemand Harald Schumacher commet une faute incroyable, terrifiante, criminel, horrible: il agresse totalement Patrick Battiston sur une de ses sorties dans un face à face meurtrier. Le boche est de nouveau là, ressurgit du passé. La barbarie telle qu'on nous la racontée à lécole ou à table. Battiston, le brave gars, est totalement KO,. Sa main pendante, inanimée. Il est évacué d’urgence sur un brancard. Le ralenti nous montre un choc d’une violence incroyable. Ce pauvre Battiston vient d’être victime d’un geste que je n’avais jamais vu sur un terrain. Une triple injustice : le ballon a frôlé la cage; Harald Schumacher n’ a pas été expulsé; l’arbitre, totalement nul, M.Corver, n’a pas non plus sifflé de penalty! Scandale, injustice, violence. Le match à changé de dimension. Je suis terrifié par cette agression, cette sortie du goal. Il est fou! Ce regard de dingue! Ce n'est pas possible, pas humain, le foot est un jeu! Ils sont terribles ces allemands ! Ce sont donc encore et toujours des "boches"? Allez les bleus !
Et là c’est la furia française, il faut venger Battiston, à
la vie, à la mort. Les bleus courent partout, Battiston a été évacué sur une
civière totalement inconscient. Et si il était mort, hein ? Quel match, quelle dramaturgie. Bossis encore ! Horst Hrubesch, dit « Le monstre » s’échauffe. Merde, il fout la trouille rien qu'à le regarder. Il est terrible celui-là: un parpaing à la place du front, Une allure
de bûcheron ou de quelqu’un qui travaille au fond d’une forêt touffue et qui
ne sort avec sa tronçonneuse que pour venir jouer au foot dans un stade et battre les français… « Horst
Hrubesch c’est pas Alain Delon » dixit Thierry Roland. Les français
monopolisent le ballon. La République Fédérale d’Allemagne semble moins
sereine. Et l’arbitre M.Corver qui ne siffle que contre les français, toujours
contre les français! La finale est possible ! Un seul but et c’est
bon ! Un état d’excitation total, Le salon s’est transformé en une partie
du stade. Même mon père s’est pris au jeu, personne ne pourrait y résister et
il se met lui aussi à vociférer de plus
en plus fort. Nous sommes dans une espèce de communion, nous sommes sur le
terrain avec les bleus, Nous haïssons cet arbitre et de plus en plus ce ballon
qui vient de se fracasser sur la transversale suite à un tir lointain d’Amoros,
tout jeune joueur de 20 ans. Les minutes
sont interminables. On va aller en prolongation contre l’Allemagne ! Je
n’ai jamais vécu cela. Pendant la pause nous sommes allés, avec mon frère, crier
un peu dehors et se refaire les grands moments de cette mi-temps de folie. On
va peut être aller en finale! Jérôme tu te rends compte !!!! Mon petit frère
n’a que 8 ans, je dois lui expliquer un
peu la vie, ça doit être cela le rôle d’un grand frère, mais il a déjà tout
compris, il déteste aussi cet arbitre pour la vie.
La prolongation commence comme un temps suspendu, les joueurs
sont exténués. Et Marius Trésor qui met une reprise de volée
extraordinaire ! Le salon est en délire, nous sommes tous les trois
debout, mon père exulte, c’est son marseillais préféré qui vient d’en mettre un
aux allemands ! 2-1 alors que les prolongations commencent à peine!!! On tient le bon bout, on va enfin y arriver! Et
Jean-Luc Etorri qui fait lui aussi un grand match malgré toutes les
critiques. Les commentateurs sont là, eux
aussi. Ils égrènent les noms de nos joueurs.
Et Karl Heinz Rummenigge, tel un méchant officier allemand de la Wechrmacht rentre à
son tour. Son nom rien qu’à l’entendre me fait trembler... Le meilleur allemand
est maintenant là. La RFA est en danger, elle est menée par les petits
français. C’est pas possible! On commence à y croire dans le salon. Soudain, la déflagration: un troisième but français du petit Giresse complètement en
transe après son but fantastique et son poteau rentrant! Jérôme, papa et moi on
hurle dans la maison! Maman vient dans le salon effrayée par les cris. Elle
nous demande de nous calmer, mais c’est absolument impossible ! Avec
Jérôme on est allé hurler dans la nuit et courir en chaussette dans le jardin. Mon père est hilare, il n'en croit pas ses yeux lui non plus! On mène 3-1!
Les allemands semblent ne plus y croire. Chaque seconde est maintenant susceptible de se transformer en coup de théâtre. Cela ne loupe pas. Karl Heinz Rumenigge réduit la marque et signe son entrée, comme le disent en duo Thierry Rolland et Jean Michel Larqué, les voix officielles du football à la télévision. Rumenigge, Breitner, Hrubesh, il ne reste plus que quelques minutes mais ce sont ces noms maintenant que l’on entend. Je mords mon patin, je crie, je me lève, je jure, j’insulte l’arbitre. Le temps est suspendu. Pour l’instant c’est nous qui sommes encore en finale. C’est fou, quel match! Il n’ y a plus que cela qui existe au monde, qui existe dans ma vie. Je suis sur le terrain entre Platini et Janvion, je coure à en perdre le souffle après ces joueurs allemands qui nous veulent du mal, qui ne veulent pas qu’on aille en finale. Trésor je t’aime, Rummenigge je te déteste ! Tu n’as pas le droit ! Littbarski, Rummenigge et but réussit par Klaus Fisher! Egalisation ! 3-3 Rumenigge, comme dégeu-dégeulasse. C’est dégeulasse! Nous sortons hurler dans le jardin notre déception. Nous lançons de colères nos patins dans la nuit noire…Les bleus sont exténués, ils n’en peuvent plus. Les Blancs ont la bave aux dents, ils aimeraient achever leur adversaire, froidement d’un quatrième but. C’est interminable. Il n’ y a plus qu’à espérer pouvoir aller au moins jusqu’à la séance des tirs aux buts. Littbarsky n’arrête pas de déborder à gauche à droite. Etorri se met à tout arrêter et à plonger dans les pieds. Les actions s’enchainent de part et d’autre. Coup de sifflet final, c’est la fin des prolongations et le début de la séance des tirs aux buts. Les joueurs sont épuisés, qui va tirer? Qui peut tirer ?
Les allemands semblent ne plus y croire. Chaque seconde est maintenant susceptible de se transformer en coup de théâtre. Cela ne loupe pas. Karl Heinz Rumenigge réduit la marque et signe son entrée, comme le disent en duo Thierry Rolland et Jean Michel Larqué, les voix officielles du football à la télévision. Rumenigge, Breitner, Hrubesh, il ne reste plus que quelques minutes mais ce sont ces noms maintenant que l’on entend. Je mords mon patin, je crie, je me lève, je jure, j’insulte l’arbitre. Le temps est suspendu. Pour l’instant c’est nous qui sommes encore en finale. C’est fou, quel match! Il n’ y a plus que cela qui existe au monde, qui existe dans ma vie. Je suis sur le terrain entre Platini et Janvion, je coure à en perdre le souffle après ces joueurs allemands qui nous veulent du mal, qui ne veulent pas qu’on aille en finale. Trésor je t’aime, Rummenigge je te déteste ! Tu n’as pas le droit ! Littbarski, Rummenigge et but réussit par Klaus Fisher! Egalisation ! 3-3 Rumenigge, comme dégeu-dégeulasse. C’est dégeulasse! Nous sortons hurler dans le jardin notre déception. Nous lançons de colères nos patins dans la nuit noire…Les bleus sont exténués, ils n’en peuvent plus. Les Blancs ont la bave aux dents, ils aimeraient achever leur adversaire, froidement d’un quatrième but. C’est interminable. Il n’ y a plus qu’à espérer pouvoir aller au moins jusqu’à la séance des tirs aux buts. Littbarsky n’arrête pas de déborder à gauche à droite. Etorri se met à tout arrêter et à plonger dans les pieds. Les actions s’enchainent de part et d’autre. Coup de sifflet final, c’est la fin des prolongations et le début de la séance des tirs aux buts. Les joueurs sont épuisés, qui va tirer? Qui peut tirer ?
Des face à face cruels s’engagent. Ce que je vis est d’une
intensité sans nom. Giresse réussit. Allez Etorri ! Nous sommes debout,
les mains devant les yeux. Amoros marque. Comment tout cela va-t-il finir ?
Les allemands marquent sans problème. Rocheteau encore une fois. Un but d’avance
pour les français, et oui ! Stielike rate le sien, nous sommes en transe dans le salon, Stielike
pleure, nous sommes debout sur les canapés probablement enlacés mais ça va trop
vite, Six a déjà aussi loupé le sien... Cinquième pénalty: le temps est suspendu.
Et Platini qui met le sien ! c’est au tour de Rumenigge, allez Ettori,
mais Rummenigge ne peut pas le rater, c’est un surhomme, c’est un méchant !
Ce match n’en finit plus, c’est maintenant la prolongation des tirs au buts, la
première équipe qui manque a perdu... C’est Bossis qui y va, le gentil Max, il
a les chaussettes baissées, c’est pas bon ça. Bossis rate ! C’est au Tours
de Hrubesch qui ne place même pas son ballon. Il a le regard mauvais, froid,
les mains sur les hanches, on sent que même le ballon a peur de lui. Je ferme
les yeux. Il s’avance comme si c’était déjà fait. Il s’élance droit devant lui
tel un rouleau compresseur, Horst Hrubesch ne peut pas rater, il ne rate pas! Son ballon déchire les filets et prend Etorri
à contre pied ...Je pars en hurlant dans le jardin, quelle injustice,
quelle honte cet arbitre, Corver pourri, Corver tu es une honte, Corver tu es
un salaud ! Je ne peux pas pleurer alors je crie! Je n’irai pas en finale,
mon Platini non plus, ce n’est pas juste. Les bleus sont en pleure sur le
terrain. Les blancs se congratulent. Schumacher lève son poing sanglant. Mais
quel match inoubliable, fantastique, héroïque et injuste. Un match mythique! C'est cela Séville 82!